dimanche 24 février 2013

Une histoire du Moyen-Âge - Chapitre VII

Elidine, jugé trop lent, est congédié par son roi. Le duc des Chênaies, qui reprend les choses en main, arrive à prendre Russigrol sans trop de mal. L'armée impériale finit enfin par se mettre en marche: le dénouement est proche.
Je joins un triptyque antique fait pour l'occasion, exceptionnellement publié en taille originale pour achever cette série en beauté (et pour que vous puissiez mieux apprécier les faiblesses du dessin).

L'armée Orquaksienne, ayant pillé et brûlé comme il fallait la cité qu'elle venait de prendre, quitta les lieux sans regret et sans oublier un seul des siens. C'était une ruine déserte qu'ils laissaient derrière eux, provoquant la profonde rancoeur des habitants. On s'achemina très vite vers les vastes tourbières au nord de la Lande, car on rapportait qu'Autar et les siens y étaient déjà, attendant patiemment que leur adversaire se manifeste. La cordialité régnait.
C'était le plus grand rassemblement armé du monde connu. Ils étaient, dit-on, 85 000 côté Orquaksien et 98 000 et quelque côté Fondorien et consorts. De part et d'autre, sachant que tout serait bientôt terminé, l'humeur était joyeuse, pas trop grave, et la détermination assez peu flexible. Les Fondoriens, qui attendaient l'accord de leurs chefs depuis un bon moment, étaient spécialement pressés de se battre; les Crochiens plus réservés pour leur part, ayant de l'empathie pour Skerkop, sommé de se taire une fois pour toutes et de faire ce qu'on lui demandait. Alcide Ampwollen, le mercenaire Palgon, attendait son heure non loin.
Le champ de bataille, pour sa part, était tout plein d'invisibles trous: les fragiles tourbières, camouflées sous leur couche de sphaignes et de droséras, sur lesquelles on ne s'engageait pas sans risquer de s'embourber sitôt. Tout ceci compliquerait agréablement les manoeuvres.
Les troupes furent disposées en vue du combat avec autant de sournoiserie que possible. Autar avait envoyé Skerkop, les Crochiens et les Compagnies Bolbiciennes en plein coeur du dispositif, plaçant sur ses flancs des fantassins légers pouvant aisément comprimer les troupes d'élite que les Orquaksiens ne manqueraient pas d'opposer à ce gros morceau, tels les Espadons, les Hussards ou les Dopfhmilts. Être placé ainsi en appât ne plaisait guère à Skerkop, on s'en doute, et c'est un euphémisme. Il s'agissait en fait d'un genre de châtiment officieux; châtiment qui serait finalement fatal aux deux...
Comme prévu, l'élite Orquaksienne chargea au centre. Non que le Duc n'ait vu venir le piège grossier, mais il avait une grande confiance en ses bêtes de guerre et plus d'une sournoiserie dans sa besace. Le choc fut violent, la mêlée d'une sanglance insoutenable: sans exagérer, ceux qui ne parvenaient pas à parer les coups volaient littéralement en éclats. De plus, comme on pouvait s'y attendre, l'attaque par les flancs eut quelques difficultés. Les Hussards, placés sur les côtés du fer de lance, repoussaient les fantassins qui cherchaient à les enserrer. Enfin, le reste de l'armée avait elle aussi sonné la charge, pressant uniformément la ligne Fondorienne.
Skerkop se battit comme un rat enragé. Toutefois, ses chères Compagnies s'étiolaient et des méats commençaient à apparaître dans ses lignes. En une heure de combat, bien qu'ayant causé au moins autant de pertes chez ses ennemis, l'équivalent de deux compagnies entières gisait au sol. Le chef de guerre, épuisé, se sentit pris d'une sainte colère.
Autar, qui regardait anxieusement le lent recul de son armée dépassée, visa le centre de sa ligne et constata désabusé que Skerkop faisait retraiter ce qu'il restait des Compagnies, usant de la moins prestigieuse piétaille pour couvrir sa fuite et regagner les hauteurs. Voyant que tout commençait à se déliter, le maréchal n'hésita pas à faire exploser la plus violente rage face à l'estermaest qui persistait à trahir. Les deux chefs de guerre se firent face, se balançant des monceaux d'insanités. On les entendit jusqu'au coeur de la bataille, pourtant bruyante entre toutes: on abusait des Crochiens, on ne les traitait guère mieux que des artichauts, ils allaient rentrer chez eux et déclarer l'indépendance; car ce n'étaient guère que des sauvages sans cervelle, qu'on allait massacrer jusqu'au dernier voire qu'on utiliserait comme projectiles. Les deux hommes s'apprêtaient à régler l'affaire par un duel; mais une bonne âme suggéra qu'il était mieux de partir la tête haute et de laisser l'autre régler ses problèmes tout seul.
Et voilà Skerkop qui éloignait ses troupes loin du tumulte, fermant la marche sans se retourner, commentant juste à de vieux camarades la conduite immature de son chef. Que trouverait-il à répondre à ça?
Vexé une fois de trop, Autar saisit un arc et tira dans le dos du traître. Il s'écroula, se vida, et murmura dans son dernier souffle quelques paroles inintelligibles à ses camarades.
L'inutilité de cet acte n'aura échappé à personne. A présent les Crochiens stationnaient, hésitants, devant le corps sans vie de leur chef. Sans attendre leur réaction, Autar se retourna et s'aperçut que tout ceci n'avait pas arrangé son affaire, et que ses troupes ployaient; alors, il ordonna que les officiers et lui-même aillent se placer parmi leurs hommes pour les soutenir de leur présence. Peut-être pensait-il alors qu'il serait plus en sûreté près des Orquaksiens que près des Crochiens, et il n'avait sans doute pas tort.
Sa présence, effectivement, revigora profondément les Fondoriens. Exultant, une foule enthousiaste chargeant à sa droite, il sentait  venir le triomphe et se voyait déjà couronné de lauriers, vainqueur de tout, ennemi et traître. Du traître aussi? Du moins en rêvait-il...



Sortit de nulle part un obscur conscrit scandalisé qui mit brutalement fin aux rêves de gloire du grand maréchal en fichant un long coutelas au coin de ses côtes. Les litiges étaient enfin réglés, et l'assassin disparut dans la bataille, sans doute éminemment satisfait.
Lorsque les phalanges s'aperçurent que leur chef n'était plus, le bref élan qui les avait animées s'évapora prestement. On ne peut dire qu'ils prirent la fuite aussitôt, ce serait mal les juger, mais le poids de leur charge estompé, d'autres chaleureux encouragements leur auraient été bien utiles, et cet accident malencontreux les laissait par ailleurs sans guide et désemparés. Ils perdaient donc en espoir et en énergie, et très progressivement ils furent repoussés en direction de l'est.
De son côté, le duc des Chênaies sentait venir un coup décisif. L'armée ennemie était mûre pour être vaincue; alors, enfourchant son destrier, il partit avec les officiels et la cavalerie lourde pour briser les lignes ennemies et causer leur déroute.
L'élan fut superbe mais stoppé net. On savait bien que les tourbières constituaient un raccourci fort pratique, mais certaines étaient fragiles; et encore, aucune n'aurait pu supporter le poids d'une charge de cavalerie. Seulement, le duc ne vit pas venir celle dans laquelle il vint prestement s'embourber avec toute sa clique hennissante, et il se retrouva subitement immobilisé.
Tout ceci aurait pu rester sans grande conséquence, car l'infanterie continuait à tenir la ligne, et la tiendrait tout le temps qu'il faudrait pour que le duc s'extraie du bourbier. La charge serait assurément moins glorieuse, mais c'est tout.

 
Poussières et taches because of scanner dégueulasse.
 
Hélas pour eux...
Alcide Ampwollen en profita pour se couvrir de gloire. Profitant de leur immobilité, une centaine d'archers montés se précipita sur l'aubaine, tournant autour de la tourbière en décochant des traits mortels.
En quelques minutes, la plupart des cavaliers, dont le malheureux duc des Chênaies, étaient criblées à mort, la face douloureusement étalée dans les sphaignes.
La perte d'un chef est toujours un coup dur, surtout un chef si brillant. Lorsque la nouvelle se répandit parmi les soldats, leur avance ne tarda pas à ralentir, leurs efforts à s'effacer; la panique les prenait. Profitant de cet avantage, les officiers restants de l'armée Fondorienne redoublèrent leurs efforts. Les Crochiens avaient fini par quitter le champ de bataille, une partie de l'armée était en fuite, mais les forces en présence demeuraient suffisantes. En fin de compte, les Orquaksiens, privés de chefs, s'effacèrent poliment, malgré les ultimes tentatives d'offensive par les Dopfhmilts survivants. A la fin de la journée, la colonne faisait de nouveau route vers le sud; il n'en restait que quelque-uns qui erraient sur la lande dévastée en s'efforçant de récupérer tout ce qui pouvait l'être. La joie côté vainqueur était mesurée, mais sans doute pas en raison de la mort d'Autar.
La Bataille des Sphaignes était gagnée.
 
L'historien apprécie qu'une guerre ait des conséquences, car cela en justifie l'étude. Quel pervers je fais, direz-vous, à détailler quelque chose de si indécemment inutile, sans même chercher à lui trouver un sens... Car à la fin chacun s'en fut chez lui, léchant ses blessures, fulminant mollement des promesses de vengeance: le Fondor à peine vainqueur, ayant sauvé trop tard une économie dont il ne restait rien à vrai dire. Ne pas faire la guerre serait revenu au même: les caisses auraient fini de se vider, et les Etats financés n'auraient rien pu dire contre.
La fin fut bien triste. Ce qui restait d'Etat-major, ayant rapporté ce qu'il y avait à dire, reçut de part et d'autre la même réponse d'une froide bouffonerie:
 
"Sa Majesté est très déçue".
 
 
 
 
 
Ce feuilleton-série-serial est à présent terminé. Il aura au moins eu le mérite de m'attirer des dizaines de collégiens en quête de cours sur le Moyen-Âge. Ma vision de cette période (qui n'a pas grand-chose d'historique, admettons-le) ne les aura sans doute pas comblés.
Enfin bon, le folklore de mon adolescence, durant laquelle j'évoquai une première fois la Guerre de la Lande Rugueuse, est encore tout plein de curieux évènements que je pourrais bien revisiter un jour: Paranthromycètes, Cnidaires Savants, Tyrans Célestes, Cités sur la Falaise, Etats Fondés sur le Crime... J'ai un projet à leur sujet. Aventures banales en des contrées ordinaires pourraient bien avoir, un de ces jours, un blog propre... A vous de me dire si ça en vaut la peine.

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