Le trésor de guerre épuisé, le Fondor se fait copieusement gueuler dessus par tous les royaumes auxquels il accordait une part. L'un d'eux prend plus que les autres le problème au sérieux: la guerre est déclarée. Les souverains des deux bords, ravis de n'avoir rien fait pour l'éviter, s'assoient et attendent.
Le Fondor d'alors était un empire disparate, aussi rempli de vide que de méats, et les provinces, loin de toute autorité, vivaient jalousement pour elles-mêmes; vaguement rappelées à l'ordre sitôt qu'elles recevaient la part de trésor qu'une inaction ingrate leur aurait retirée. L'armée, donc, prit son temps pour se rassembler, les estafettes migrant tranquillement vers les différents fiefs tels que Soumonie, Marégie, Nolle, Plonase, Koplonn, Chrisotoline et j'en passe. Vous pouvez les voir sur cette carte moderne (à l'époque l'empire était uni).
Tout ce beau monde, placé sous le commandement du maréchal Elidine, assisté d'un certain Duc des Chênaies, ne pensait évidemment pas conquérir dans son entièreté un empire aussi vaste que le Fondor, mais écraser l'armée ennemie pour faire pression sur le pouvoir. C'est ainsi qu'on s'arrange en général pour conclure les choses très vite, mais il est des cas où cette stratégie est dépassée: c'en fut un, et, on le verra, ça s'éternisa douloureusement dans la boue et la neige.
Il y avait tout pour que ça dure, à dire vrai, car bien qu'il n'ait pu prendre l'initiative, le Fondor était parvenu, en raclant bien dans les coins, à réunir des effectifs quasi-identiques; encore que légèrement supérieurs: il avait pu en effet profiter de la vassalité de certains États septentrionaux sous serment pour augmenter un peu ses forces, et, dans certains cas, avec certaines des meilleures troupes du temps.
En vérité, ces Etats n'étaient alors plus que deux: la Crochie et Gormoth-Pouvik. Des autres, dissolus et refaits de nombreuses fois au gré de l'humeur des chefs, ne subsistait plus ce qu'on pourrait nommer, assez justement, "clans barbares". On en compte aujourd'hui une trentaine; on estime qu'alors ils étaient huit cents. Et, trop lointaines et trop petites, trop indisciplinées, et de toute façon ultérieures au serment, ces petites cités sans loi faisaient assez précisément ce que bon leur semblait (je leur en suis gré). Aussi, la Crochie et Gormoth-Pouvik, les seuls à être restés à peu près entiers au cours des six derniers siècles, essuyaient pour le Fondor leur suzerain les vagues successives de bandits prétentieux, maraudeurs et autres anarcho-syndicalistes qu'on leur envoyait régulièrement du Nord, et leurs soldats se trouvaient être particulièrement aguerris et expérimentés.
Gormoth-Pouvik, pour autant, ne put envoyer que des effectifs symboliques, car il régnait alors aux confins du Plukadrien-Apical une agitation qui, justement, tenait les Pouvikiens très occupés.
La Crochie, en revanche, disposait d'assez de troupes pour en céder en quantités importantes. L'estermaest en personne, Altrès-Beno Skerkop, fit le déplacement. L'estermaest, c'est-à-dire le bras droit du consul fondorien qui veillait sur la colonie, son conseiller personnel choisi parmi les autochtones, élevé et formé à la cour impériale, débarrassé de toute velléité de nationalisme et qui faisait aussi un bon chef de guerre, sa formation étant centrée sur ces points.
Outre une abondante piétaille, Skerkop avait l'honneur de commander personnellement les Compagnies Bolbiciennes, régiments d'infanterie lourde fonctionnant chacun comme une armée complète et indépendante; il emportait trois des cinq Compagnies dans ses bagages.Elles étaient héritières de l'antique tradition des Troupes d'Assaut Décomplexées, corps de presque-élite formant les seules troupes permanentes parmi les ohms du temps des Crabouliques.
Skerkop, donc, vint aux côtés d'Autar pour le seconder; situation que l'un comme l'autre exécrait, ceci ne flattant l'orgueil ni de l'un ni de l'autre:
"Je n'ai pas à me voir flanqué d'un métèque idiot sous prétexte qu'il est estermaest."
"Je n'ai pas à me soumettre à n'importe quel crétin sous prétexte qu'il est maréchal."
Inféodé et assisté, de fait, ne purent se supporter longtemps, et très tôt une haine farouche les opposa, là où Elidine et le Duc affichaient une franche et réjouissante camaraderie: alors que les Orquaksiens débarquaient sur une grève sauvage, on savait déjà laquelle des deux armées maintiendrait front uni.
A suivre
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Je vous écoute.