jeudi 10 octobre 2013

L'homme vieux (fragments)

Cette nouvelle inachevée, dont le style est somme toute assez empesé, pourra éventuellement être présentée à un concours si je parviens à la finir. En attendant, il me faut me satisfaire un peu en donnant l'impression que ce blog est toujours mis à jour avec régularité. Le premier fragment correspond au début, le dernier à la fin et le second à quelque chose entre les deux.

On nous avait promis des horizons dorés, dorés ou tachés de suie; la réussite ou l'échec d'un même système conduisant à l'un ou à l'autre. Nous ne vîmes arriver aucun des deux, et nous avons cessé d'attendre. L'espèce même, en vérité, est bien lasse, et s'est laissée aller à un doux recul.
Nous avons cessé de tondre nos pelouses, de tailler nos haies; nous avons cessé de lire, d'apprendre et de faire, et nous avons cessé de construire. Notre volonté s'était érodée, et nous reposions désormais sur des acquis en déclin.
Puis, comme si ça ne suffisait pas, nous fûmes las de nous reproduire. Nos lits eux-mêmes nous rebutaient, préférant la douce-amère contemplation de nos choses qui s'effritent. Les couples vivaient silencieux, immobiles et enlacés dans une douceur à froid, partageant un pâle sourire, pleins de bonheur, et de suffisance.
Enfin nous avons cessé de vivre. Nous avons quitté les cités maintenant décrépites, marchant sereinement sur les routes désertes, vers là où l'errance nous conduirait. Nous ne laissions rien alors, ou rien de regrettable.

Dès avant nous savions combien l'asphalte était douce à l'esprit, quand on pouvait la parcourir à pied. Quand les véhicules ont cessé de circuler en leur centre, les rues nous avaient de suite parues plus larges et plus nettes. Combien était belle, lorsqu'elle était vide, cette surface dure et lisse, improbable vestige d'une improbable époque, et comme nous triomphions d'aller ainsi par le milieu d'une voie autrefois impraticable...  Nous mesurions alors toute l'ampleur de notre satisfaction: notre ennui avait eu raison de toutes les choses anciennes, et à présent nous découvrions émerveillés un monde nouveau pour se blottir et s'éteindre.
La lassitude nous était douce, en effet. En somme nous étions vieux; l'ennui était pour nous devenu un mode de vie. Mais le monde lui-même et toute chose en lui étaient vieux et las, comptant les jours qui les séparaient de leur terme.

Et nous sommes, donc, quelques groupes errants, mélancoliques et fascinés, qui progressent en rang de loups: la terre déprime et ça nous va bien. Pieds dans la boue; Tête parmi les ronces; Regard nulle part. En somme, il ne nous fallait rien d'autre que cette retraite spartiate, et quelques souvenirs du vieux temps restaient à ceux d'entre nous qui ne dormaient pas encore.

[...]

Un autre possède une précieuse relique: un disque de verre et de métal, produisant un son cadencé, maintenu au bras par une lanière de cuir. Il l'appelle sa berceuse, et l'écoute chaque fois que possible: car il n'ignore pas que le mouvement ne sera pas éternel. En effet, un vague érudit était un jour parvenu à déchiffrer: Dix ans de batterie. Et, depuis que l'échéance lui était connue, il attendait, inquiet, que la prophétie se réalise; et il ne comptait plus perdre une miette du son apaisant de l'appareil. Il lui donne honneur et prestance, et il dispose d'une place de choix dans la meute: il marche au milieu du rang, protégé entre un dos et une face, sans avoir à choisir où aller, ni à maintenir le rythme pour ne pas se faire distancer.
Incapable de voir qu'elle s'endort, molle et apathique, la colonne trace sa route à l'aveugle en ramassant tant bien que mal sa subsistance sur le chemin. Et au milieu, l'oisif avec son appareil rythme l'ensemble.

[...]

La bête apaisée s'endort bientôt, s'en allant bercée en cadence à des rêves sans ambition, pour n'en jamais revenir.

-Et soudain le tic-tac s'arrête.




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Je vous écoute.