lundi 7 janvier 2013

Regrettables lois du hasard

introspection illustrée, n°2

Le créant est bien des fois durant sa carrière confronté à cet épineux problème: donner des noms aux choses. Qu'il soit entomologiste dans la jungle sèche du Mozambique, ou artiste dans sa mansarde, il arrive qu'il soit confronté à un personnage ou un papillon qui, émergeant des fourrés matériels ou des taillis de son esprit, lui soit totalement inconnu et anonyme. Là dessus il lui invente un nom; ce sera Morinsonia jlagarensis ou Hedwardius Nanogorgone.
Et ce nom, d'où sort-il? Moi qui vous parle, j'invente des noms sans savoir comment, au hasard je pense, là où d'autres en trouvent en accord explicite avec son personnage et souvent estampillé rigolo (perfide concierge sera Rusard, sinistre professeur sera Rogue: c'est facilement visible chez Rowling; et ne parlons pas de la cruelle Cruella!). Croyez-le ou non, je pense pour une fois avoir tort dans mes démarches, bien que je ne veuille pas en changer: c'est qu'à vouloir à ce point être vrai, je m'expose aux dures lois du hasard. Mes noms sont tout simplement déjà pris!
Cette expérience frustrante m'est tombée dessus plusieurs fois. Un jour ainsi que mon crayon allait vagabondant sur une étendue blanche, il fit émerger de la feuille un bel et grand insecte que je nommai Chrysoperla anisopoda. Détail important, je classai la fictive bête parmi les plécoptères, ou perles, ces animaux primitifs qu'on voit de bon matin près des eaux claires en été. On ne peut plus logique: c'était une perle (perla) aux ailes d'or (chrysos). Quelle douloureuse blessure je reçus, en voyant qu'un prédécesseur m'avait précédé! Le nom de genre était déjà pris, et, comble de cruauté, était celui des insectes parmi mes préférés que l'on nomme Chrysopes, ces névroptères au corps mou dont les larves dévorent les pucerons et les enfants en bas âge. Cédant aux imprécations du droit d'auteur (et d'une communauté scientifique furieuse de voir un tout petit machin comme moi prétendre leur piquer leurs idées), je me résolus à renommer la chose. Ce fut Chrysoptera anisopoda, et ça eut d'emblée moins de classe, vous en conviendrez. Et encore, chrysoptera est déjà le nom d'espèce d'un passereau exotique ainsi que d'un certain nombre d'autres bestioles variées. J'ignore si ça peut passer, nomenclaturement parlant.
Je refuse de croire que mon inconscient m'a voulu jouer un tour, je lui fais bien trop confiance pour ça. Et après tout, il en est bien incapable, le pauvre.

Chrysoptera anisopoda signifie en latin: allez vous faire empailler, bande de momies rétrogrades.
Nota: je reproche ici à Rowling et autres d'employer des noms rigolos pour les pires ordures. Je m'en excuse: dans une prochaine série, je compte introduire un personnage du nom d'Azine, ce qui n'a en fait rien de ridicule, rien du moins tant qu'on ignore qu'il a pour prénoms Mohammad Alish Gardom...

4 commentaires:

  1. La plus frustrée, ça doit être la perle, non? Toute ravissante qu'elle est, elle se fait piquer son nom par rétrospection temporelle spontanée! Oui, car je suis certain que chrysoperla anisopoda n'existait pas, ou avait un autre nom, avant que vous vous apperceviez de l'imposture, cher Tripoda. Qui plus est, la vraie chrysoperla anisopoda pourra prétendre être plus belle que cette perle, puisque ces insectes sont réputés avoir les plus beaux yeux du règne animal (aux intéressés, tapez chrysope sur Gougueule images, vous verrez que c'est vrai). Non, vraiment, la plus à plaindre dans l'histoire, c'est la perle.
    Pauvre perle.

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    1. Merci d'avoir pris le parti de cette pauvre bête, elle commençait à déprimer seule sur sa feuille. Toutefois, à moins bien sûr qu'il s'agisse d'ironie, il me semble qu'il y a un léger malentendu.
      Mettons donc au point ces histoires de nomenclature linnéenne: toute espèce vivante, depuis que le grand Karl l'a décidé, répond à une nomenclature binomiale; elle possède un nom de genre (Chrysoperla), partagé ou pas avec d'autres espèces, et un nom d'espèce (anisopoda), propre à elle seule au sein du genre.
      Effectivement, Chrysoperla anisopoda n'existe pas et n'a jamais existé (mais existera peut-être quand on l'aura découverte...). Le vrai problème est le nom de genre "Chrysoperla". En nomenclature, le nom de genre ne correspond qu'à un genre et un seul (noooon?), regroupant donc des espèces très proches. En somme, le nom "Chrysoperla" ne peut désigner rien d'autre qu'une chrysope, et en aucun cas une perle.
      Cependant (astuce!), le même mot latin peut être utilisé en nom d'espèce dans deux genres différents! Ce que je ne sais pas, c'est si un même mot peut faire le nom de genre d'une chose et le nom d'espèce d'une autre...
      Bref, tout ceci, sous des apparences simples, devient bien compliqué quand on s'en donne la peine.
      En tout cas, merci pour cet aimable commentaire; oh, et n'oubliez pas que c'est des critiques et des remarques qu'on publie ici-bas, inutile de compléter mes articles hors ces occurrences même si vous pouvez prétendre en savoir plus que moi (au sujet du Polychat par exemple).

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  2. Jésus marie joseph bob, c'est très long. Je dois apprendre à être laconique.

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  3. Réminiscence de l'article de Léandri sur les réminiscences?

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Je vous écoute.